Albert Lichten

Musique et paysage dans la peinture

Sommaire

Les peintres abstraits ont souvent invoqué la proximité de leur art et de l’art musical. Mais toute la tradition figurative n’a pas manqué  de jouer sur les résonances entre ses rythmes, ses arabesques, ses harmonies colorées voire ses ruptures, et les rythmes, les mélodies, les accords et les dissonances en musique. Plus près de nous, le registre des toiles cubistes serait bien appauvri sans l’apparition récurrente de signes de guitare, de violon, de flûte, et de musiciens jouant de leurs instruments .Ainsi donc le thème de la musique et des musiciens a connu une immense fortune dans l’histoire de la peinture.  

 

 

J’ai choisi pour ma part de traiter ce sujet à travers les rapports qui peuvent se tisser entre l’exécution d’un morceau de musique, ses auditeurs ou auditrices, et le paysage environnant. A ce titre, ma toile emblématique de référence est le Concert champêtre ( dont on ne sait s’il est de Giorgione ou de Titien).  

Giorgione - Le concert champêtre - vers 1510/ 11

Manet s’est inspiré de cette toile pour son Déjeuner sur l’herbe. Mais dans ce dernier, les grands fûts des arbres installent un rythme architectural dans le décor forestier, alors que les arabesques des feuillages du Concert champêtre semblent reprendre en écho la ligne mélodique d’un morceau momentanément interrompu par les musiciens. Un caractère commun aux deux oeuvres est le contrepoint entre figures masculines vêtues et nudité des corps féminins. Provocante chez Manet, la composante érotique est bien suggérée dans le Concert. Quel rapport la musique entretient-elle avec les dispositions amoureuses du corps féminin ?  

Albert Lichten - Récital au parc des Buttes Chaumont I - huile sur toile - 1998 - 146 x 114cm

Dans mes deux toiles consacrées  au sujet d’un récital dans un parc parisien, je reprends le thème du Concert champêtre, à travers le langage de la modernité et en le transposant dans le monde contemporain. Un soliste y joue pour de belles attentives, dans un entrelacs musique – paysage urbain. On notera, ici également, le contraste entre le personnage masculin, qui est vêtu, et les figures féminines, qui sont nues.
Cette première version, qui date de 1998, d’inspiration cubiste, insiste sur les arêtes des maisons et des arbres, ainsi que sur la pluralité des points de vue, qui font partiellement le tour des corps féminins, instaurant une certaine réciprocité spatiale entre les auditrices et le violoniste.  

Albert Lichten - Récital au parc des Buttes Chaumont 2 - huile sur toile - 2001 - 146 x 114cm

La deuxième version est plus abstraite dans sa conception. Elle se laisse entièrement commander par l’intuition d’une correspondance entre les arabesques plastiques et les lignes melodiques musicales, ainsi que par le pouvoir d’évocation sonore des accords entre couleurs chaudes, froides, et parfois stridentes.    

Albert Lichten - Aubade - huile sur toile - 1996 - 100 x 100 cm

Un galant se tient dans dans l’embrasure d’une porte – fenêtre. Il joue pour la belle endormie et semble vouloir se diriger vers elle. Le corps de celle-ci est pris en écharpe par le soleil matinal. Il y a présence simultanée de la chambre et du paysage rocheux qui se dresse à l’arrière plan.

Albert Lichten - le pâtre sur le rocher - huile sur toile - 2006.-73 x 92 cm

Ce tableau est une illustration d’un lied de Schubert d’après un poème de Möricke, dont voici les deux premières strophes: Juché sur le plus haut rocher /  Les yeux plongés dans la vallée / Je chante,   Et l’écho monte / des profondeurs / s’élève des sombres ravines. Ce lied, empreint de toute la nostalgie romantique, se termine par des paroles d’espoir ( Bientôt ce sera le printemps ). .  J’ai donc choisi de placer mon personnage dans la claire lumière matinale, tandis que la vallée se trouve plongée dans une ombre preque nocturne. Cette vallée, je l’ai voulue habitée, par contraste avec la solitude du pâtre. Celui-ci est nu, manière pour moi de dépasser l’anecdote vers la métaphore, ou, si l’on veut, vers l’allégorie
 Tandis que je peignais cette toile  j’avais présente .à la mémoire la mélodie de ce lied, son caractère à la fois aérien et vertical, avec ses écarts de notes ascendantes et descendantes. Et j’en perçois après coup dans mon tableau la correspondance plastique, avec les arêtes en zigzag du rocher, que reprennent d’ailleurs les angles du corps du pâtre.

Albert Lichten - David dansait devant l'arche - huile sur toile - 2007.- 100 x 81 cm

Ceci est une illustration d’un passage de la Bible (Samuel II,7). David fait transporter l’arche d’Alliance dans la cité qui porte son nom. Il danse devant l’arche.
Retournons d’abord en arrière dans l’histoire biblique. A la fin de l’Exode, Moïse fait construire par Béseléel, de la tribu de Juda, l’arche d’Alliance, signe visible du pacte conclu entre l’Eternel et son peuple, car on y dépose les tables de la Loi. Cette arche témoigne que l’Eternel habite au milieu de son peuple.
Béseléel fit l’arche en bois d’acacia (. ) Il fit deux chérubins d’or, en travail bosselé, aux deux extrémités du couvercle…  (Exode,36, 37)
 
Retrouvons maintenant David, dans le livre de Samuel, après qu’il a été sacré roi sur Israël :
Alors David se mit en devoir de faire transporter l’arche de l’Eternel de la maison d’Obed-Edom dans la cité de David (…) David dansait de toutes ses forces  devant l’Eternel ; il était ceint d’un éphod de lin (…) Quand l’arche d’Alliance pénétra dans la cité de David, Michol, fille de Saül, aperçut le roi David sautant et tournant sur lui-même et elle conçut pour lui du mépris (…)
Comme David s’en retournait pour bénir sa famille, Michol, la fille de Saül, vint à sa rencontre et lui dit  » Coimme le roi David s’est distingué aujourd’hui en se donnant en spectacle… »  » C’est devant l’Eternel que j’ai dansé, répliqua David… » (Samuel II,6)

Ce transport de l’arche, je l’ai voulu dans un chemin pentu, comme l’était déjà le bourg de Jérusalem.¨Ainsi qu’il est dit dans le texte, les enfants d’Israêl jouent de la trompe, en signe d’allégresse. J’ai vu dans cette danse, dont Michol reproche à David le caractère charnel (il s’est « découvert sans pudeur comme un homme de rien »), un élan extraordinaire vers la Transcendance. On notera la légèreté aérienne du danseur, à laquelle répond chez les chérubins la gestuelle d’une marche ascensionnelle résolue, ainsi que le contraste entre le pas lourd des boeufs et l’animation rythmique du cortège des musiciens. L’ensemble du tableau est en effet construit selon  des lignes mélodiques et des rapports rythmiques.

Les peintres abstraits ont souvent invoqué la proximité de leur art et de l’art musical. Mais toute la tradition figurative n’a pas manqué  de jouer sur les résonances entre ses rythmes, ses arabesques, ses harmonies colorées voire ses ruptures, et les rythmes, les mélodies, les accords et les dissonances en musique. Plus près de nous, le registre des toiles cubistes serait bien appauvri sans l’apparition récurrente de signes de guitare, de violon, de flûte, et de musiciens jouant de leurs instruments .Ainsi donc le thème de la musique et des musiciens a connu une immense fortune dans l’histoire de la peinture.  

 

 

J’ai choisi pour ma part de traiter ce sujet à travers les rapports qui peuvent se tisser entre l’exécution d’un morceau de musique, ses auditeurs ou auditrices, et le paysage environnant. A ce titre, ma toile emblématique de référence est le Concert champêtre ( dont on ne sait s’il est de Giorgione ou de Titien). 

Manet s’est inspiré de cette toile pour son Déjeuner sur l’herbe. Mais dans ce dernier, les grands fûts des arbres installent un rythme architectural dans le décor forestier, alors que les arabesques des feuillages du Concert champêtre semblent reprendre en écho la ligne mélodique d’un morceau momentanément interrompu par les musiciens. Un caractère commun aux deux oeuvres est le contrepoint entre figures masculines vêtues et nudité des corps féminins. Provocante chez Manet, la composante érotique est bien suggérée dans le Concert. Quel rapport la musique entretient-elle avec les dispositions amoureuses du corps féminin ?  

Dans mes deux toiles consacrées  au sujet d’un récital dans un parc parisien, je reprends le thème du Concert champêtre, à travers le langage de la modernité et en le transposant dans le monde contemporain. Un soliste y joue pour de belles attentives, dans un entrelacs musique – paysage urbain. On notera, ici également, le contraste entre le personnage masculin, qui est vêtu, et les figures féminines, qui sont nues.
Cette première version, qui date de 1998, d’inspiration cubiste, insiste sur les arêtes des maisons et des arbres, ainsi que sur la pluralité des points de vue, qui font partiellement le tour des corps féminins, instaurant une certaine réciprocité spatiale entre les auditrices et le violoniste.  

La deuxième version est plus abstraite dans sa conception. Elle se laisse entièrement commander par l’intuition d’une correspondance entre les arabesques plastiques et les lignes melodiques musicales, ainsi que par le pouvoir d’évocation sonore des accords entre couleurs chaudes, froides, et parfois stridentes.    

Un galant se tient dans dans l’embrasure d’une porte – fenêtre. Il joue pour la belle endormie et semble vouloir se diriger vers elle. Le corps de celle-ci est pris en écharpe par le soleil matinal. Il y a présence simultanée de la chambre et du paysage rocheux qui se dresse à l’arrière plan.

Ce tableau est une illustration d’un lied de Schubert d’après un poème de Möricke, dont voici les deux premières strophes: Juché sur le plus haut rocher /  Les yeux plongés dans la vallée / Je chante,   Et l’écho monte / des profondeurs / s’élève des sombres ravines. Ce lied, empreint de toute la nostalgie romantique, se termine par des paroles d’espoir ( Bientôt ce sera le printemps ). .  J’ai donc choisi de placer mon personnage dans la claire lumière matinale, tandis que la vallée se trouve plongée dans une ombre preque nocturne. Cette vallée, je l’ai voulue habitée, par contraste avec la solitude du pâtre. Celui-ci est nu, manière pour moi de dépasser l’anecdote vers la métaphore, ou, si l’on veut, vers l’allégorie
 Tandis que je peignais cette toile  j’avais présente .à la mémoire la mélodie de ce lied, son caractère à la fois aérien et vertical, avec ses écarts de notes ascendantes et descendantes. Et j’en perçois après coup dans mon tableau la correspondance plastique, avec les arêtes en zigzag du rocher, que reprennent d’ailleurs les angles du corps du pâtre.

Ceci est une illustration d’un passage de la Bible (Samuel II,7). David fait transporter l’arche d’Alliance dans la cité qui porte son nom. Il danse devant l’arche.
Retournons d’abord en arrière dans l’histoire biblique. A la fin de l’Exode, Moïse fait construire par Béseléel, de la tribu de Juda, l’arche d’Alliance, signe visible du pacte conclu entre l’Eternel et son peuple, car on y dépose les tables de la Loi. Cette arche témoigne que l’Eternel habite au milieu de son peuple.
Béseléel fit l’arche en bois d’acacia (. ) Il fit deux chérubins d’or, en travail bosselé, aux deux extrémités du couvercle…  (Exode,36, 37)
 
Retrouvons maintenant David, dans le livre de Samuel, après qu’il a été sacré roi sur Israël :
Alors David se mit en devoir de faire transporter l’arche de l’Eternel de la maison d’Obed-Edom dans la cité de David (…) David dansait de toutes ses forces  devant l’Eternel ; il était ceint d’un éphod de lin (…) Quand l’arche d’Alliance pénétra dans la cité de David, Michol, fille de Saül, aperçut le roi David sautant et tournant sur lui-même et elle conçut pour lui du mépris (…)
Comme David s’en retournait pour bénir sa famille, Michol, la fille de Saül, vint à sa rencontre et lui dit  » Coimme le roi David s’est distingué aujourd’hui en se donnant en spectacle… »  » C’est devant l’Eternel que j’ai dansé, répliqua David… » (Samuel II,6)

Ce transport de l’arche, je l’ai voulu dans un chemin pentu, comme l’était déjà le bourg de Jérusalem.¨Ainsi qu’il est dit dans le texte, les enfants d’Israêl jouent de la trompe, en signe d’allégresse. J’ai vu dans cette danse, dont Michol reproche à David le caractère charnel (il s’est « découvert sans pudeur comme un homme de rien »), un élan extraordinaire vers la Transcendance. On notera la légèreté aérienne du danseur, à laquelle répond chez les chérubins la gestuelle d’une marche ascensionnelle résolue, ainsi que le contraste entre le pas lourd des boeufs et l’animation rythmique du cortège des musiciens. L’ensemble du tableau est en effet construit selon  des lignes mélodiques et des rapports rythmiques.

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J’ai choisi pour ma part de traiter ce sujet à travers les rapports qui peuvent se tisser entre l’exécution d’un morceau de musique, ses auditeurs ou auditrices, et le paysage environnant. A ce titre, ma toile emblématique de référence est le Concert champêtre ( dont on ne sait s’il est de Giorgione ou de Titien).  

Giorgione - Le concert champêtre - vers 1510/ 11

Manet s’est inspiré de cette toile pour son Déjeuner sur l’herbe. Mais dans ce dernier, les grands fûts des arbres installent un rythme architectural dans le décor forestier, alors que les arabesques des feuillages du Concert champêtre semblent reprendre en écho la ligne mélodique d’un morceau momentanément interrompu par les musiciens. Un caractère commun aux deux oeuvres est le contrepoint entre figures masculines vêtues et nudité des corps féminins. Provocante chez Manet, la composante érotique est bien suggérée dans le Concert. Quel rapport la musique entretient-elle avec les dispositions amoureuses du corps féminin ?  

Albert Lichten - Récital au parc des Buttes Chaumont I - huile sur toile - 1998 - 146 x 114cm

Dans mes deux toiles consacrées  au sujet d’un récital dans un parc parisien, je reprends le thème du Concert champêtre, à travers le langage de la modernité et en le transposant dans le monde contemporain. Un soliste y joue pour de belles attentives, dans un entrelacs musique – paysage urbain. On notera, ici également, le contraste entre le personnage masculin, qui est vêtu, et les figures féminines, qui sont nues.
Cette première version, qui date de 1998, d’inspiration cubiste, insiste sur les arêtes des maisons et des arbres, ainsi que sur la pluralité des points de vue, qui font partiellement le tour des corps féminins, instaurant une certaine réciprocité spatiale entre les auditrices et le violoniste.  

Albert Lichten - Récital au parc des Buttes Chaumont 2 - huile sur toile - 2001 - 146 x 114cm

La deuxième version est plus abstraite dans sa conception. Elle se laisse entièrement commander par l’intuition d’une correspondance entre les arabesques plastiques et les lignes melodiques musicales, ainsi que par le pouvoir d’évocation sonore des accords entre couleurs chaudes, froides, et parfois stridentes.    

Albert Lichten - Aubade - huile sur toile - 1996 - 100 x 100 cm

Un galant se tient dans dans l’embrasure d’une porte – fenêtre. Il joue pour la belle endormie et semble vouloir se diriger vers elle. Le corps de celle-ci est pris en écharpe par le soleil matinal. Il y a présence simultanée de la chambre et du paysage rocheux qui se dresse à l’arrière plan.

Albert Lichten - le pâtre sur le rocher - huile sur toile - 2006.-73 x 92 cm

Ce tableau est une illustration d’un lied de Schubert d’après un poème de Möricke, dont voici les deux premières strophes: Juché sur le plus haut rocher /  Les yeux plongés dans la vallée / Je chante,   Et l’écho monte / des profondeurs / s’élève des sombres ravines. Ce lied, empreint de toute la nostalgie romantique, se termine par des paroles d’espoir ( Bientôt ce sera le printemps ). .  J’ai donc choisi de placer mon personnage dans la claire lumière matinale, tandis que la vallée se trouve plongée dans une ombre preque nocturne. Cette vallée, je l’ai voulue habitée, par contraste avec la solitude du pâtre. Celui-ci est nu, manière pour moi de dépasser l’anecdote vers la métaphore, ou, si l’on veut, vers l’allégorie
 Tandis que je peignais cette toile  j’avais présente .à la mémoire la mélodie de ce lied, son caractère à la fois aérien et vertical, avec ses écarts de notes ascendantes et descendantes. Et j’en perçois après coup dans mon tableau la correspondance plastique, avec les arêtes en zigzag du rocher, que reprennent d’ailleurs les angles du corps du pâtre.

Albert Lichten - David dansait devant l'arche - huile sur toile - 2007.- 100 x 81 cm

Ceci est une illustration d’un passage de la Bible (Samuel II,7). David fait transporter l’arche d’Alliance dans la cité qui porte son nom. Il danse devant l’arche.
Retournons d’abord en arrière dans l’histoire biblique. A la fin de l’Exode, Moïse fait construire par Béseléel, de la tribu de Juda, l’arche d’Alliance, signe visible du pacte conclu entre l’Eternel et son peuple, car on y dépose les tables de la Loi. Cette arche témoigne que l’Eternel habite au milieu de son peuple.
Béseléel fit l’arche en bois d’acacia (. ) Il fit deux chérubins d’or, en travail bosselé, aux deux extrémités du couvercle…  (Exode,36, 37)
 
Retrouvons maintenant David, dans le livre de Samuel, après qu’il a été sacré roi sur Israël :
Alors David se mit en devoir de faire transporter l’arche de l’Eternel de la maison d’Obed-Edom dans la cité de David (…) David dansait de toutes ses forces  devant l’Eternel ; il était ceint d’un éphod de lin (…) Quand l’arche d’Alliance pénétra dans la cité de David, Michol, fille de Saül, aperçut le roi David sautant et tournant sur lui-même et elle conçut pour lui du mépris (…)
Comme David s’en retournait pour bénir sa famille, Michol, la fille de Saül, vint à sa rencontre et lui dit  » Coimme le roi David s’est distingué aujourd’hui en se donnant en spectacle… »  » C’est devant l’Eternel que j’ai dansé, répliqua David… » (Samuel II,6)

Ce transport de l’arche, je l’ai voulu dans un chemin pentu, comme l’était déjà le bourg de Jérusalem.¨Ainsi qu’il est dit dans le texte, les enfants d’Israêl jouent de la trompe, en signe d’allégresse. J’ai vu dans cette danse, dont Michol reproche à David le caractère charnel (il s’est « découvert sans pudeur comme un homme de rien »), un élan extraordinaire vers la Transcendance. On notera la légèreté aérienne du danseur, à laquelle répond chez les chérubins la gestuelle d’une marche ascensionnelle résolue, ainsi que le contraste entre le pas lourd des boeufs et l’animation rythmique du cortège des musiciens. L’ensemble du tableau est en effet construit selon  des lignes mélodiques et des rapports rythmiques.

Les peintres abstraits ont souvent invoqué la proximité de leur art et de l’art musical. Mais toute la tradition figurative n’a pas manqué  de jouer sur les résonances entre ses rythmes, ses arabesques, ses harmonies colorées voire ses ruptures, et les rythmes, les mélodies, les accords et les dissonances en musique. Plus près de nous, le registre des toiles cubistes serait bien appauvri sans l’apparition récurrente de signes de guitare, de violon, de flûte, et de musiciens jouant de leurs instruments .Ainsi donc le thème de la musique et des musiciens a connu une immense fortune dans l’histoire de la peinture.  

 

 

J’ai choisi pour ma part de traiter ce sujet à travers les rapports qui peuvent se tisser entre l’exécution d’un morceau de musique, ses auditeurs ou auditrices, et le paysage environnant. A ce titre, ma toile emblématique de référence est le Concert champêtre ( dont on ne sait s’il est de Giorgione ou de Titien). 

Manet s’est inspiré de cette toile pour son Déjeuner sur l’herbe. Mais dans ce dernier, les grands fûts des arbres installent un rythme architectural dans le décor forestier, alors que les arabesques des feuillages du Concert champêtre semblent reprendre en écho la ligne mélodique d’un morceau momentanément interrompu par les musiciens. Un caractère commun aux deux oeuvres est le contrepoint entre figures masculines vêtues et nudité des corps féminins. Provocante chez Manet, la composante érotique est bien suggérée dans le Concert. Quel rapport la musique entretient-elle avec les dispositions amoureuses du corps féminin ?  

Dans mes deux toiles consacrées  au sujet d’un récital dans un parc parisien, je reprends le thème du Concert champêtre, à travers le langage de la modernité et en le transposant dans le monde contemporain. Un soliste y joue pour de belles attentives, dans un entrelacs musique – paysage urbain. On notera, ici également, le contraste entre le personnage masculin, qui est vêtu, et les figures féminines, qui sont nues.
Cette première version, qui date de 1998, d’inspiration cubiste, insiste sur les arêtes des maisons et des arbres, ainsi que sur la pluralité des points de vue, qui font partiellement le tour des corps féminins, instaurant une certaine réciprocité spatiale entre les auditrices et le violoniste.  

La deuxième version est plus abstraite dans sa conception. Elle se laisse entièrement commander par l’intuition d’une correspondance entre les arabesques plastiques et les lignes melodiques musicales, ainsi que par le pouvoir d’évocation sonore des accords entre couleurs chaudes, froides, et parfois stridentes.    

Un galant se tient dans dans l’embrasure d’une porte – fenêtre. Il joue pour la belle endormie et semble vouloir se diriger vers elle. Le corps de celle-ci est pris en écharpe par le soleil matinal. Il y a présence simultanée de la chambre et du paysage rocheux qui se dresse à l’arrière plan.

Ce tableau est une illustration d’un lied de Schubert d’après un poème de Möricke, dont voici les deux premières strophes: Juché sur le plus haut rocher /  Les yeux plongés dans la vallée / Je chante,   Et l’écho monte / des profondeurs / s’élève des sombres ravines. Ce lied, empreint de toute la nostalgie romantique, se termine par des paroles d’espoir ( Bientôt ce sera le printemps ). .  J’ai donc choisi de placer mon personnage dans la claire lumière matinale, tandis que la vallée se trouve plongée dans une ombre preque nocturne. Cette vallée, je l’ai voulue habitée, par contraste avec la solitude du pâtre. Celui-ci est nu, manière pour moi de dépasser l’anecdote vers la métaphore, ou, si l’on veut, vers l’allégorie
 Tandis que je peignais cette toile  j’avais présente .à la mémoire la mélodie de ce lied, son caractère à la fois aérien et vertical, avec ses écarts de notes ascendantes et descendantes. Et j’en perçois après coup dans mon tableau la correspondance plastique, avec les arêtes en zigzag du rocher, que reprennent d’ailleurs les angles du corps du pâtre.

Ceci est une illustration d’un passage de la Bible (Samuel II,7). David fait transporter l’arche d’Alliance dans la cité qui porte son nom. Il danse devant l’arche.
Retournons d’abord en arrière dans l’histoire biblique. A la fin de l’Exode, Moïse fait construire par Béseléel, de la tribu de Juda, l’arche d’Alliance, signe visible du pacte conclu entre l’Eternel et son peuple, car on y dépose les tables de la Loi. Cette arche témoigne que l’Eternel habite au milieu de son peuple.
Béseléel fit l’arche en bois d’acacia (. ) Il fit deux chérubins d’or, en travail bosselé, aux deux extrémités du couvercle…  (Exode,36, 37)
 
Retrouvons maintenant David, dans le livre de Samuel, après qu’il a été sacré roi sur Israël :
Alors David se mit en devoir de faire transporter l’arche de l’Eternel de la maison d’Obed-Edom dans la cité de David (…) David dansait de toutes ses forces  devant l’Eternel ; il était ceint d’un éphod de lin (…) Quand l’arche d’Alliance pénétra dans la cité de David, Michol, fille de Saül, aperçut le roi David sautant et tournant sur lui-même et elle conçut pour lui du mépris (…)
Comme David s’en retournait pour bénir sa famille, Michol, la fille de Saül, vint à sa rencontre et lui dit  » Coimme le roi David s’est distingué aujourd’hui en se donnant en spectacle… »  » C’est devant l’Eternel que j’ai dansé, répliqua David… » (Samuel II,6)

Ce transport de l’arche, je l’ai voulu dans un chemin pentu, comme l’était déjà le bourg de Jérusalem.¨Ainsi qu’il est dit dans le texte, les enfants d’Israêl jouent de la trompe, en signe d’allégresse. J’ai vu dans cette danse, dont Michol reproche à David le caractère charnel (il s’est « découvert sans pudeur comme un homme de rien »), un élan extraordinaire vers la Transcendance. On notera la légèreté aérienne du danseur, à laquelle répond chez les chérubins la gestuelle d’une marche ascensionnelle résolue, ainsi que le contraste entre le pas lourd des boeufs et l’animation rythmique du cortège des musiciens. L’ensemble du tableau est en effet construit selon  des lignes mélodiques et des rapports rythmiques.

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