Albert Lichten

Fenêtres

Sommaire

 Dans la peinture de la Renaissance, la fenêtre, la veduta qui ouvre sur un espace extérieur, est une construction purement intellectuelle C’est un montage, quelque chose qui vient s’ajouter à la scène d’intérieur, laquelle constitue le véritable sujet du tableau. L’introduction de la veduta n’a pas pour fonction de représenter ce qui est vu simultanément  dans une pièce et par sa fenêtre ; elle est destinée à  exciter l’imagination du spectateur de l’oeuvre, à lui rappeler  que la scène ne se joue pas dans un lieu  clos mais sur fond d’univers.

En revanche,le thème de la fenêtre comme lieu visuel de passage de l’intérieur à l’extérieur et réciproquement, est une invention moderne. Elle suppose une tout autre dramaturgie que celle décrite plus haut, un engagement corporel des acteurs de la scène dans un rapport entre deux espaces bien différents.Ceux qui ont traité ce thème le plus magnifiquement sont Bonnard et Matisse. Je m’inscrit dans cette lignée. Le traitement de ce dernier thème exige une dialectique subtile entre la source lumineuse externe, de nature physique, et le surcroit de lumière qui émane de l’oeil du peintre et qui confère éclat et vigueur aux objets et personnes qui se trouvent à l’intérieur de la pièce.Ce surcroit sensoriel vient contrebalancer la puissance physique de la source lumineuse externe.

Entre cette approche et celle de la Renaissance, il y a une différence dans l’orientation du regard et en conséquence les artifices respectifs ne sont pas les mêmes.Rappelons d’abord qu’en peinture, le regard ne vient pas de l’oeil du spectateur, il est ce qui, depuis le tableau, attire l’oeil du spectateur.Dans une oeuvre de la Renaissance, le regard émane des pesonnages – non forcément de leurs yeux, mais aussi bien de leur visage, de leurs mains, voire de leur corps entier – ce sont sur ces régions que la lumière se concentre. Dans l’approche que je qualifie de moderne, la lumière-regard  vient plutôt de l’espace extérieur à la pièce et elle est contrebalancée par un regard antagoniste qui rappelle l’importance du ou des personnages situés dans la pièce. Deux conceptions s’opposent, et aussi deux artifices : la conception de la Renaissance met l’homme au centre le l’univers, et oriente la composition à partir de l’image humaine; la conception moderne le décentre, le plonge dans le monde des choses. L’artifice de la Renaissance est plus strictement intellectuel, l’artifice moderne – le mien donc – est en un sens plus complexe, à la fois intellectuel et sensoriel.

Le Titien - La Venus au joueur d'orgue – vers 1545-1546 – huile sur toile

Cette reproduction, bien qu’elle soit en noir et blanc, met en évidence  la distribution de la lumière; celle-ci irradie du corps de la déesse. Ce superbe tableau, un sommet de l’art du Titien, est d’un érotisme à la fois insolent et retenu. Le rapport entre l’intérieur et le paysage n’a rien de réaliste. C’est une pure construction mentale, mais  d’une poésie intense. Le profil de musicien voyeur est comme une note qui se répercute dans les harmoniques du ciel, de même que les verticales des tuyaux d’orgue se  répètent dans les reflets des arbres sur l’eau du canal ; à leur tour les peupliers de la rive trouvent leur écho dans les plis de la manche du musicien. Maniérisme…ou naturalisme ? Car la nature, domestiquée certes, et qui pourrait être ici l’anticipation  d’un parc à la française, a la présence d’une hallucination ou plutôt d’un mirage ; ce qui le rend plausible, c’est son impeccable perspective . C’est  un mirage qui attire   à lui  le musicien avec son instrument. Son  désir devient notre rêverie, le paysage se fait musique et la musique paysage. Mais le foyer de la rêverie est bien le corps lumineux de Vénus. 

Le Titien - Venus avec un jeune chien, un Amour et une perdrix – vers 1550 – huile sur toile

La pièce avec le corps éclatant de Vénus, et  le paysage, sont deux entités distinctes, qui valent pour elles-mêmes. Toutefois, elles sont reliées plastiquement  par l’unité de la composition. On notera la trouvaille de la perdrix, qui contribue à cette unité en rompant l’horizontale du rebord de la fenêtre. Mais elle a également une fonction figurative : elle rend plausible  la présence du paysage d’où elle a pris son envol pour venir, là, se percher, comme un témoin de la scène.

Le Titien - Portrait de Paul III – vers 1545-1546 – huile sur toile

L’intérêt est concentré sur le personnage de Paul III, figure éminente de la Renaissance. « Cardinal à 26 ans, prince humaniste et fastueux, il n’en fut pas moins le pape de la Contre-réforme » ( Petit Robert ).La veduta en haut à droite.a sans doute une valeur évocatrice, mais elle a surtout une fonction plastique, celle d’équilibrer la composition.  

Albert Lichten - Mon bien aimé est descendu dans son jardin – 2006 – huile sur toile

Ce tableau est une illustration d’un passage du Cantique des cantiques. Le regard de l’amante plonge dans le jardin où son bien-aimé cueille des lys pour les lui offrir. Corrélativement, l’orientation du regard, au sens pictural du terme, est bien différente de ce qu’elle est à la Renaissance :  l’espace intérieur et l’espace extérieur s’équilibrent; un passage se fait de l’un à l’autre; le jardin n’est pas simplement indiqué, évoqué, il est bien présent.: L’amante est tout entière captée par le spectacle qui s’offre à elle, mais le bien-aimé lève les yeux vers la fenêtre de la chambre.

Albert Lichten - Mon bien-aimé est descendu dans son jardin II II - 2006 - huile sur toile

Voici  une autre version du même thème. La lumière est différente et le regard de l’amante est moins plongeant.

Albert Lichten - Couple à la fenetre IV - 2001 - huile sur toile – 92 x 73 cm

La scène ici est différente. L’homme embrasse du regard à la fois le paysage montagneux et la famme couchée. On notera la torsion de l’espace que nécessite ce regard circulaire.

 Dans la peinture de la Renaissance, la fenêtre, la veduta qui ouvre sur un espace extérieur, est une construction purement intellectuelle C’est un montage, quelque chose qui vient s’ajouter à la scène d’intérieur, laquelle constitue le véritable sujet du tableau. L’introduction de la veduta n’a pas pour fonction de représenter ce qui est vu simultanément  dans une pièce et par sa fenêtre ; elle est destinée à  exciter l’imagination du spectateur de l’oeuvre, à lui rappeler  que la scène ne se joue pas dans un lieu  clos mais sur fond d’univers.

En revanche,le thème de la fenêtre comme lieu visuel de passage de l’intérieur à l’extérieur et réciproquement, est une invention moderne. Elle suppose une tout autre dramaturgie que celle décrite plus haut, un engagement corporel des acteurs de la scène dans un rapport entre deux espaces bien différents.Ceux qui ont traité ce thème le plus magnifiquement sont Bonnard et Matisse. Je m’inscrit dans cette lignée. Le traitement de ce dernier thème exige une dialectique subtile entre la source lumineuse externe, de nature physique, et le surcroit de lumière qui émane de l’oeil du peintre et qui confère éclat et vigueur aux objets et personnes qui se trouvent à l’intérieur de la pièce.Ce surcroit sensoriel vient contrebalancer la puissance physique de la source lumineuse externe.

Entre cette approche et celle de la Renaissance, il y a une différence dans l’orientation du regard et en conséquence les artifices respectifs ne sont pas les mêmes.Rappelons d’abord qu’en peinture, le regard ne vient pas de l’oeil du spectateur, il est ce qui, depuis le tableau, attire l’oeil du spectateur.Dans une oeuvre de la Renaissance, le regard émane des pesonnages – non forcément de leurs yeux, mais aussi bien de leur visage, de leurs mains, voire de leur corps entier – ce sont sur ces régions que la lumière se concentre. Dans l’approche que je qualifie de moderne, la lumière-regard  vient plutôt de l’espace extérieur à la pièce et elle est contrebalancée par un regard antagoniste qui rappelle l’importance du ou des personnages situés dans la pièce. Deux conceptions s’opposent, et aussi deux artifices : la conception de la Renaissance met l’homme au centre le l’univers, et oriente la composition à partir de l’image humaine; la conception moderne le décentre, le plonge dans le monde des choses. L’artifice de la Renaissance est plus strictement intellectuel, l’artifice moderne – le mien donc – est en un sens plus complexe, à la fois intellectuel et sensoriel.

Cette reproduction, bien qu’elle soit en noir et blanc, met en évidence  la distribution de la lumière; celle-ci irradie du corps de la déesse. Ce superbe tableau, un sommet de l’art du Titien, est d’un érotisme à la fois insolent et retenu. Le rapport entre l’intérieur et le paysage n’a rien de réaliste. C’est une pure construction mentale, mais  d’une poésie intense. Le profil de musicien voyeur est comme une note qui se répercute dans les harmoniques du ciel, de même que les verticales des tuyaux d’orgue se  répètent dans les reflets des arbres sur l’eau du canal ; à leur tour les peupliers de la rive trouvent leur écho dans les plis de la manche du musicien. Maniérisme…ou naturalisme ? Car la nature, domestiquée certes, et qui pourrait être ici l’anticipation  d’un parc à la française, a la présence d’une hallucination ou plutôt d’un mirage ; ce qui le rend plausible, c’est son impeccable perspective . C’est  un mirage qui attire   à lui  le musicien avec son instrument. Son  désir devient notre rêverie, le paysage se fait musique et la musique paysage. Mais le foyer de la rêverie est bien le corps lumineux de Vénus. 

La pièce avec le corps éclatant de Vénus, et  le paysage, sont deux entités distinctes, qui valent pour elles-mêmes. Toutefois, elles sont reliées plastiquement  par l’unité de la composition. On notera la trouvaille de la perdrix, qui contribue à cette unité en rompant l’horizontale du rebord de la fenêtre. Mais elle a également une fonction figurative : elle rend plausible  la présence du paysage d’où elle a pris son envol pour venir, là, se percher, comme un témoin de la scène.

L’intérêt est concentré sur le personnage de Paul III, figure éminente de la Renaissance. « Cardinal à 26 ans, prince humaniste et fastueux, il n’en fut pas moins le pape de la Contre-réforme » ( Petit Robert ).La veduta en haut à droite.a sans doute une valeur évocatrice, mais elle a surtout une fonction plastique, celle d’équilibrer la composition.  

Ce tableau est une illustration d’un passage du Cantique des cantiques. Le regard de l’amante plonge dans le jardin où son bien-aimé cueille des lys pour les lui offrir. Corrélativement, l’orientation du regard, au sens pictural du terme, est bien différente de ce qu’elle est à la Renaissance :  l’espace intérieur et l’espace extérieur s’équilibrent; un passage se fait de l’un à l’autre; le jardin n’est pas simplement indiqué, évoqué, il est bien présent.: L’amante est tout entière captée par le spectacle qui s’offre à elle, mais le bien-aimé lève les yeux vers la fenêtre de la chambre.

Voici  une autre version du même thème. La lumière est différente et le regard de l’amante est moins plongeant.

La scène ici est différente. L’homme embrasse du regard à la fois le paysage montagneux et la famme couchée. On notera la torsion de l’espace que nécessite ce regard circulaire.

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En revanche,le thème de la fenêtre comme lieu visuel de passage de l’intérieur à l’extérieur et réciproquement, est une invention moderne. Elle suppose une tout autre dramaturgie que celle décrite plus haut, un engagement corporel des acteurs de la scène dans un rapport entre deux espaces bien différents.Ceux qui ont traité ce thème le plus magnifiquement sont Bonnard et Matisse. Je m’inscrit dans cette lignée. Le traitement de ce dernier thème exige une dialectique subtile entre la source lumineuse externe, de nature physique, et le surcroit de lumière qui émane de l’oeil du peintre et qui confère éclat et vigueur aux objets et personnes qui se trouvent à l’intérieur de la pièce.Ce surcroit sensoriel vient contrebalancer la puissance physique de la source lumineuse externe.

Entre cette approche et celle de la Renaissance, il y a une différence dans l’orientation du regard et en conséquence les artifices respectifs ne sont pas les mêmes.Rappelons d’abord qu’en peinture, le regard ne vient pas de l’oeil du spectateur, il est ce qui, depuis le tableau, attire l’oeil du spectateur.Dans une oeuvre de la Renaissance, le regard émane des pesonnages – non forcément de leurs yeux, mais aussi bien de leur visage, de leurs mains, voire de leur corps entier – ce sont sur ces régions que la lumière se concentre. Dans l’approche que je qualifie de moderne, la lumière-regard  vient plutôt de l’espace extérieur à la pièce et elle est contrebalancée par un regard antagoniste qui rappelle l’importance du ou des personnages situés dans la pièce. Deux conceptions s’opposent, et aussi deux artifices : la conception de la Renaissance met l’homme au centre le l’univers, et oriente la composition à partir de l’image humaine; la conception moderne le décentre, le plonge dans le monde des choses. L’artifice de la Renaissance est plus strictement intellectuel, l’artifice moderne – le mien donc – est en un sens plus complexe, à la fois intellectuel et sensoriel.

Le Titien - La Venus au joueur d'orgue – vers 1545-1546 – huile sur toile

Cette reproduction, bien qu’elle soit en noir et blanc, met en évidence  la distribution de la lumière; celle-ci irradie du corps de la déesse. Ce superbe tableau, un sommet de l’art du Titien, est d’un érotisme à la fois insolent et retenu. Le rapport entre l’intérieur et le paysage n’a rien de réaliste. C’est une pure construction mentale, mais  d’une poésie intense. Le profil de musicien voyeur est comme une note qui se répercute dans les harmoniques du ciel, de même que les verticales des tuyaux d’orgue se  répètent dans les reflets des arbres sur l’eau du canal ; à leur tour les peupliers de la rive trouvent leur écho dans les plis de la manche du musicien. Maniérisme…ou naturalisme ? Car la nature, domestiquée certes, et qui pourrait être ici l’anticipation  d’un parc à la française, a la présence d’une hallucination ou plutôt d’un mirage ; ce qui le rend plausible, c’est son impeccable perspective . C’est  un mirage qui attire   à lui  le musicien avec son instrument. Son  désir devient notre rêverie, le paysage se fait musique et la musique paysage. Mais le foyer de la rêverie est bien le corps lumineux de Vénus. 

Le Titien - Venus avec un jeune chien, un Amour et une perdrix – vers 1550 – huile sur toile

La pièce avec le corps éclatant de Vénus, et  le paysage, sont deux entités distinctes, qui valent pour elles-mêmes. Toutefois, elles sont reliées plastiquement  par l’unité de la composition. On notera la trouvaille de la perdrix, qui contribue à cette unité en rompant l’horizontale du rebord de la fenêtre. Mais elle a également une fonction figurative : elle rend plausible  la présence du paysage d’où elle a pris son envol pour venir, là, se percher, comme un témoin de la scène.

Le Titien - Portrait de Paul III – vers 1545-1546 – huile sur toile

L’intérêt est concentré sur le personnage de Paul III, figure éminente de la Renaissance. « Cardinal à 26 ans, prince humaniste et fastueux, il n’en fut pas moins le pape de la Contre-réforme » ( Petit Robert ).La veduta en haut à droite.a sans doute une valeur évocatrice, mais elle a surtout une fonction plastique, celle d’équilibrer la composition.  

Albert Lichten - Mon bien aimé est descendu dans son jardin – 2006 – huile sur toile

Ce tableau est une illustration d’un passage du Cantique des cantiques. Le regard de l’amante plonge dans le jardin où son bien-aimé cueille des lys pour les lui offrir. Corrélativement, l’orientation du regard, au sens pictural du terme, est bien différente de ce qu’elle est à la Renaissance :  l’espace intérieur et l’espace extérieur s’équilibrent; un passage se fait de l’un à l’autre; le jardin n’est pas simplement indiqué, évoqué, il est bien présent.: L’amante est tout entière captée par le spectacle qui s’offre à elle, mais le bien-aimé lève les yeux vers la fenêtre de la chambre.

Albert Lichten - Mon bien-aimé est descendu dans son jardin II II - 2006 - huile sur toile

Voici  une autre version du même thème. La lumière est différente et le regard de l’amante est moins plongeant.

Albert Lichten - Couple à la fenetre IV - 2001 - huile sur toile – 92 x 73 cm

La scène ici est différente. L’homme embrasse du regard à la fois le paysage montagneux et la famme couchée. On notera la torsion de l’espace que nécessite ce regard circulaire.

 Dans la peinture de la Renaissance, la fenêtre, la veduta qui ouvre sur un espace extérieur, est une construction purement intellectuelle C’est un montage, quelque chose qui vient s’ajouter à la scène d’intérieur, laquelle constitue le véritable sujet du tableau. L’introduction de la veduta n’a pas pour fonction de représenter ce qui est vu simultanément  dans une pièce et par sa fenêtre ; elle est destinée à  exciter l’imagination du spectateur de l’oeuvre, à lui rappeler  que la scène ne se joue pas dans un lieu  clos mais sur fond d’univers.

En revanche,le thème de la fenêtre comme lieu visuel de passage de l’intérieur à l’extérieur et réciproquement, est une invention moderne. Elle suppose une tout autre dramaturgie que celle décrite plus haut, un engagement corporel des acteurs de la scène dans un rapport entre deux espaces bien différents.Ceux qui ont traité ce thème le plus magnifiquement sont Bonnard et Matisse. Je m’inscrit dans cette lignée. Le traitement de ce dernier thème exige une dialectique subtile entre la source lumineuse externe, de nature physique, et le surcroit de lumière qui émane de l’oeil du peintre et qui confère éclat et vigueur aux objets et personnes qui se trouvent à l’intérieur de la pièce.Ce surcroit sensoriel vient contrebalancer la puissance physique de la source lumineuse externe.

Entre cette approche et celle de la Renaissance, il y a une différence dans l’orientation du regard et en conséquence les artifices respectifs ne sont pas les mêmes.Rappelons d’abord qu’en peinture, le regard ne vient pas de l’oeil du spectateur, il est ce qui, depuis le tableau, attire l’oeil du spectateur.Dans une oeuvre de la Renaissance, le regard émane des pesonnages – non forcément de leurs yeux, mais aussi bien de leur visage, de leurs mains, voire de leur corps entier – ce sont sur ces régions que la lumière se concentre. Dans l’approche que je qualifie de moderne, la lumière-regard  vient plutôt de l’espace extérieur à la pièce et elle est contrebalancée par un regard antagoniste qui rappelle l’importance du ou des personnages situés dans la pièce. Deux conceptions s’opposent, et aussi deux artifices : la conception de la Renaissance met l’homme au centre le l’univers, et oriente la composition à partir de l’image humaine; la conception moderne le décentre, le plonge dans le monde des choses. L’artifice de la Renaissance est plus strictement intellectuel, l’artifice moderne – le mien donc – est en un sens plus complexe, à la fois intellectuel et sensoriel.

Cette reproduction, bien qu’elle soit en noir et blanc, met en évidence  la distribution de la lumière; celle-ci irradie du corps de la déesse. Ce superbe tableau, un sommet de l’art du Titien, est d’un érotisme à la fois insolent et retenu. Le rapport entre l’intérieur et le paysage n’a rien de réaliste. C’est une pure construction mentale, mais  d’une poésie intense. Le profil de musicien voyeur est comme une note qui se répercute dans les harmoniques du ciel, de même que les verticales des tuyaux d’orgue se  répètent dans les reflets des arbres sur l’eau du canal ; à leur tour les peupliers de la rive trouvent leur écho dans les plis de la manche du musicien. Maniérisme…ou naturalisme ? Car la nature, domestiquée certes, et qui pourrait être ici l’anticipation  d’un parc à la française, a la présence d’une hallucination ou plutôt d’un mirage ; ce qui le rend plausible, c’est son impeccable perspective . C’est  un mirage qui attire   à lui  le musicien avec son instrument. Son  désir devient notre rêverie, le paysage se fait musique et la musique paysage. Mais le foyer de la rêverie est bien le corps lumineux de Vénus. 

La pièce avec le corps éclatant de Vénus, et  le paysage, sont deux entités distinctes, qui valent pour elles-mêmes. Toutefois, elles sont reliées plastiquement  par l’unité de la composition. On notera la trouvaille de la perdrix, qui contribue à cette unité en rompant l’horizontale du rebord de la fenêtre. Mais elle a également une fonction figurative : elle rend plausible  la présence du paysage d’où elle a pris son envol pour venir, là, se percher, comme un témoin de la scène.

L’intérêt est concentré sur le personnage de Paul III, figure éminente de la Renaissance. « Cardinal à 26 ans, prince humaniste et fastueux, il n’en fut pas moins le pape de la Contre-réforme » ( Petit Robert ).La veduta en haut à droite.a sans doute une valeur évocatrice, mais elle a surtout une fonction plastique, celle d’équilibrer la composition.  

Ce tableau est une illustration d’un passage du Cantique des cantiques. Le regard de l’amante plonge dans le jardin où son bien-aimé cueille des lys pour les lui offrir. Corrélativement, l’orientation du regard, au sens pictural du terme, est bien différente de ce qu’elle est à la Renaissance :  l’espace intérieur et l’espace extérieur s’équilibrent; un passage se fait de l’un à l’autre; le jardin n’est pas simplement indiqué, évoqué, il est bien présent.: L’amante est tout entière captée par le spectacle qui s’offre à elle, mais le bien-aimé lève les yeux vers la fenêtre de la chambre.

Voici  une autre version du même thème. La lumière est différente et le regard de l’amante est moins plongeant.

La scène ici est différente. L’homme embrasse du regard à la fois le paysage montagneux et la famme couchée. On notera la torsion de l’espace que nécessite ce regard circulaire.

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