Albert Lichten

L’éclair et la durée

Sommaire

Reprenant  l’emploi  du mot français  regard  dans le sens de petite ouverture dans une construction,  nous avons défini le regard comme un écart  entre la vision normée, physique – optique, et une vision plus énigmatique plus cachée. Le regard c’est l’entr’aperçu. Dans le regard il y a l’éclair qui traverse la vision normée et la porte ailleurs.

On aurait tort de croire que cette notion de regard est destinée à justifier des déformations gratuites de la « réalité », une sorte d’alibi pour l’ignorance, l’incapacité, la négligence, voire l’outrecuidance d’un « moi » hypertrophié. Certains en sont encore à déclarer que le caractère, selon eux grotesque et indécent, des oeuvres de Picasso s’explique par le fait qu’il « ne savait pas peindre »! Voilà qui est absurde. Parmi les peintres de la Renaissance, en apparence si soucieux d’obéir aux lois de l’optique, nombreux furent ceux qui se servirent de la perspective pour y introduire de subtiles contradictions, des paradoxes à peine perceptibles, afin de laisser entrevoir une intention cachée.

Le regard porte en lui l’éclair. Or pour celui qui commence avec sérieux et ferveur l’exercice de la peinture, l’expérience de l’éclair se fait d’abord devant le motif. Nommons  cette expérience  fulgurance de l’instant. L’instant n’est justement pas l’instantané. Rappelons le dire de Léonard de Vinci : »Regarde la lumière : ce que tu as vu d’abord n’est plus, ce que tu verras ensuite n’est pas encore ».Nous retrouvons ici  notre thème  » voir, c’est avoir vu « , mais dans une sorte de réaction circulaire: l’éclair du présent-à-venir porte la foudre au présent-passé. Pour se tenir dans l’ouverture de l’instant, il faut, semble-t-il, un temps d’arrêt. C’est pourquoi l’immobilité du regardant face aux choses paraît une nécessité ; nécessité d’autant plus contraignante que s’il veut transmettre cet éclair au spectateur de l’oeuvre, il ne doit pas bouleverser son cadre de représentation, fondé sur la perspective, qui exige un observateur immobile. Ajoutons que l’mmobilité de l’observateur, qui de ce fait ne saisit qu’un aspect des choses, rend aisée la simplicité de la représentation, autre facteur favorable à la transmission.

On m’a qualifié autrefois de peintre de l’éclair – c’était sans doute immérité – mais c’était l’époque où je travaillais le plus souvent devant le motif, qui éclatait sous mon regard.. Je travaille maintenant sur le souvenir du motif, c’est à dire que je réactive la déflagration initiale. Mais à côté de cette voie, j’en explore depuis longtemps une autre : restituer une durée dans une simultanéité, celle de la toile. Et la question se pose de savoir comment l’exigence de l’éclair peut s’accomoder d’une telle ambition. Restituer: le terme est périlleux, car il ne s’agit pas de multiplier les aspects successifs, les profils, au point de « brouiller les apparences », selon les mots d’Albert Gleizes, critiquant le peintre figuratif qui prétend introduire le temps dans son tableau. En réalité, une telle surcharge de lignes qui s’entrecroisent, de détails qui s’annulent, signe l’échec d’une obsession insidieuse et inconsciente, d’une volonté de montrer ce qu’on ne peut pas voir. Il s’agit toujours, dans la peinture, de laisser deviner ce que l’on ne peut qu’entrevoir, l’espace d’un éclair, et par conséquent; que l’on ne peut représenter. Pourtant les peintres ont toujours montré, mais montré de manière subreptice. Pour nous les modernes – je ne veux pas dire : les contemporains – cette montre fugitive ne pourra surgir que lorsque  la toile sera picturalement consistante dans le sens où le veut l’abstraction , c’est à dire losque la toile, grâce à un jeu de contrastes et d’équilibres (couleurs et formes), émettra sa propre lumière

On ne doit jamais renoncer en art à l’exigence d’efficacité. Une bonne toile abstraite est efficace, dans la mesure où elle comporte force, harmonie, clarté de la forme. Une bonne toile figurative est efficace dans la mesure où elle allie les qualités de la forme à la clarté figurative. Restituer – ou créer –  picturalement une durée, par exemple la durée d’une promenade, c’est une ambition légitime, car la promenade est une joie aussi bien spirituelle et intellectuelle que sensori-motrice. Mais il ne faut pas tomber dans le piège de l’exactitude – si le mot a encore ici un sens – il ne faut pas essayer de montrer comme une « réalité »extérieure ce qui ne peut exister que mentalement, dans l’intériorité de la mémoire et de l’attente, ce qui par conséquent ne peut exister comme réalité.extérieure.La perspective, héritée de la Renaissance, est le modèle même de la représentation, en tant qu’un tableau construit selon ses règles peut passer pour un miroir de la réalité à partir d’un point de vue immobile. Modèle de la représentation puisque le spectateur du tableau est supposé situé à la place même d’où le peintre a regardé la scène. C’est pourquoi la vision de celui qui est en mouvement par rapport à un lieu est rigoureusement irreprésentable; la restitution d’une telle vision est impossible dans le cadre de la représentation héritée de la Renaissance 

Cela ne veut nullement dire que la peinture doive renoncer à rendre visible l’ impossible, voire à le représenter. C’est ainsi qu’à la Renaissance, dans le .Jugement dernier de Michel -Ange, la fresque de la Chapelle Sixtine, les figures du Christ et de ceux qui l’entourent se tiennent en suspension dans la voûte céleste tandis qu’au – dessous les corps des damnés tombent en enfer à travers un espace indéterminé où ne s’impose aucune considération d’échelle. A la suite de Michel -Ange, dans la seconde moitié de la Renaissance, les maniéristes ont multiplié les corps en lévitation, pratiqué parfois la torsion de l’espace, entrelacé les panneaux peints avec sur leurs bordures des motifs de « grotesques ». L’opération de rendre visible un impossible, ou de le suggérer, dépend donc de la « structure » picturale dans laquelle il peut ou non trouver place. Mais c’est peut-être bien cet impossible, à chaque fois différent, qui anime toute la peinture, qui lui inspire toutes les ruses pour se jouer des limites qu’ impose le « vraisemblable ».

Or, ce qui ne peut être représenté peut être figuré. Car figuration n’est pas représentation. La peinture chinoise est figurative, elle n’est pas représentative car elle ne s’appuie pas sur l’unicité du point de vue, ce qui lui permet de rendre visible un parcours  Selon moi, lorsqu’il s’agit d’un parcours, le peintre n’a pas pour vocation de représenter plus qu’on ne peut représenter – mission impossible – mais de créer des raccourcis, des abréviations. En figurant, il a le droit de multiplier les points de vue, mais il doit se tenir dans l’unité de l’acte créateur.  Si l’on veut donc figurer picturalement une action qui dure, par exemple un paysage qui se déroule sous les pieds et sous les yeux du promeneur, il faut retrouver l’éclair sur un autre plan que celui de l’instant. Cela exige une autre forme d’illumination, et par exemple de trouver une couleur – lumière qui ne soit pas liée à un angle précis de vision, mais qui soit une tonalité émotionnelle propre à tel ciel, à tel lieu, à telle promenade, à telle séquence temporelle.

On peut  réfléchir sur les réussites de la tradition picturale chinoise dans la figuration des séquences temporelles. La question est trop vaste pour qu’on puisse vraiment la traiter ici. Redisons d’abord que figuration n’est pas représentation, et mentionnons le fait que cette figuration  leur a été facilitée par l’usage du support matériel utilisé, le rouleau. Mais le facteur essentiel réside en ceci que la tradition chinoise esr étrangère à l’héritage que nous avons reçu de la Renaissance. Celle-ci nous a légué une tradition  très contraignante, qui donne à l’observateur immobile un privilège absolu, grâce à quoi  les jeux de perspective; linéaire, aérienne, les variations d’éclairage selon l’angle d’incidence de la lumière, atteignent une très grande richesse. La richesse même de ce legs, qui, quoi qu’on en pense, va jusqu’au fauvisme – puisque ce dernier n’est en un sens qu’une exaltation; une exagération simplifiante des impressions de l’oeil, selon l’angle d’incidence de la lumière – nous rend très malaisée la figuration  de la durée.  L’influence de ce legs va même plus loin, puisque abstraction et cubisme sont des reactions contre les normes de la Renaissance. La tradition chinoise n’a pas ce handicap, elle est autre, asymétriquement. On observe d’ailleurs que les artistes chinois qui sous l’influence des jésuites, se sont mis à l’école de la peinture occidentale, avec ses règles de perspective, ont produit des oeuvres raides et compassées, voire « bouchées »( pour utiliser notre argot de peintres). C’est que cela leur était étranger. L’espace-temps de la peinture chinoise est un continuum qui ignore le point de fuite du à l’observateur immobile. La complexité de certaines oeuvres chinoises n’est pas de la complication : mentalement, le peintre et son public peuvent s’y rejoindre dans un seul et même regard.

« De manière délibérée, le peintre utilise le paysage pour rehausser le contenu narratif. Les voyageurs forment un cours sinueux qui se déploie à travers une  série d’espaces reliés et définis par les montagnes et les ravins. Toutefois, les montagnes ponctuent le mouvement et créent une forte sensation de rythme. Les voyageurs émergent de derrière les falaises de droite et reposent sur un terrain à découvert au pied des crètes centrales, puis continuent leur voyage, disparaissant derrière les montagnes de gauche. » (3000 ans de peinture chinoise- éditions Philippe Picquier)

Attribué à Lizao Zhaodao - Le voyage de l'empereur Ming huang vers Shu.- rouleau tiré d'une oeuvre originale réalisée vers 800

Ce tableau est moins descriptif et moins narratif que la peinture chinoise montrée plus haut. Cette dernière introduit le parcours des personnages à travers les accidents du paysage. Ce tableau -ci en revanche cherche à restituer les impressions du couple découvrant au fil du parcours le site dans sa globalité : synthèse du transitoire et du durable; les montagnes lointaines sont perçues dans l’imaginaire comme presque immobiles malgré les tours et les détours de la randonnée. 

Albert Lichten - randonnée dans les monts du Péloponnèse.- huile sur toile - 1998 - 110 x 87 cm

Reprenant  l’emploi  du mot français  regard  dans le sens de petite ouverture dans une construction,  nous avons défini le regard comme un écart  entre la vision normée, physique – optique, et une vision plus énigmatique plus cachée. Le regard c’est l’entr’aperçu. Dans le regard il y a l’éclair qui traverse la vision normée et la porte ailleurs.

On aurait tort de croire que cette notion de regard est destinée à justifier des déformations gratuites de la « réalité », une sorte d’alibi pour l’ignorance, l’incapacité, la négligence, voire l’outrecuidance d’un « moi » hypertrophié. Certains en sont encore à déclarer que le caractère, selon eux grotesque et indécent, des oeuvres de Picasso s’explique par le fait qu’il « ne savait pas peindre »! Voilà qui est absurde. Parmi les peintres de la Renaissance, en apparence si soucieux d’obéir aux lois de l’optique, nombreux furent ceux qui se servirent de la perspective pour y introduire de subtiles contradictions, des paradoxes à peine perceptibles, afin de laisser entrevoir une intention cachée.

Le regard porte en lui l’éclair. Or pour celui qui commence avec sérieux et ferveur l’exercice de la peinture, l’expérience de l’éclair se fait d’abord devant le motif. Nommons  cette expérience  fulgurance de l’instant. L’instant n’est justement pas l’instantané. Rappelons le dire de Léonard de Vinci : »Regarde la lumière : ce que tu as vu d’abord n’est plus, ce que tu verras ensuite n’est pas encore ».Nous retrouvons ici  notre thème  » voir, c’est avoir vu « , mais dans une sorte de réaction circulaire: l’éclair du présent-à-venir porte la foudre au présent-passé. Pour se tenir dans l’ouverture de l’instant, il faut, semble-t-il, un temps d’arrêt. C’est pourquoi l’immobilité du regardant face aux choses paraît une nécessité ; nécessité d’autant plus contraignante que s’il veut transmettre cet éclair au spectateur de l’oeuvre, il ne doit pas bouleverser son cadre de représentation, fondé sur la perspective, qui exige un observateur immobile. Ajoutons que l’mmobilité de l’observateur, qui de ce fait ne saisit qu’un aspect des choses, rend aisée la simplicité de la représentation, autre facteur favorable à la transmission.

On m’a qualifié autrefois de peintre de l’éclair – c’était sans doute immérité – mais c’était l’époque où je travaillais le plus souvent devant le motif, qui éclatait sous mon regard.. Je travaille maintenant sur le souvenir du motif, c’est à dire que je réactive la déflagration initiale. Mais à côté de cette voie, j’en explore depuis longtemps une autre : restituer une durée dans une simultanéité, celle de la toile. Et la question se pose de savoir comment l’exigence de l’éclair peut s’accomoder d’une telle ambition. Restituer: le terme est périlleux, car il ne s’agit pas de multiplier les aspects successifs, les profils, au point de « brouiller les apparences », selon les mots d’Albert Gleizes, critiquant le peintre figuratif qui prétend introduire le temps dans son tableau. En réalité, une telle surcharge de lignes qui s’entrecroisent, de détails qui s’annulent, signe l’échec d’une obsession insidieuse et inconsciente, d’une volonté de montrer ce qu’on ne peut pas voir. Il s’agit toujours, dans la peinture, de laisser deviner ce que l’on ne peut qu’entrevoir, l’espace d’un éclair, et par conséquent; que l’on ne peut représenter. Pourtant les peintres ont toujours montré, mais montré de manière subreptice. Pour nous les modernes – je ne veux pas dire : les contemporains – cette montre fugitive ne pourra surgir que lorsque  la toile sera picturalement consistante dans le sens où le veut l’abstraction , c’est à dire losque la toile, grâce à un jeu de contrastes et d’équilibres (couleurs et formes), émettra sa propre lumière

On ne doit jamais renoncer en art à l’exigence d’efficacité. Une bonne toile abstraite est efficace, dans la mesure où elle comporte force, harmonie, clarté de la forme. Une bonne toile figurative est efficace dans la mesure où elle allie les qualités de la forme à la clarté figurative. Restituer – ou créer –  picturalement une durée, par exemple la durée d’une promenade, c’est une ambition légitime, car la promenade est une joie aussi bien spirituelle et intellectuelle que sensori-motrice. Mais il ne faut pas tomber dans le piège de l’exactitude – si le mot a encore ici un sens – il ne faut pas essayer de montrer comme une « réalité »extérieure ce qui ne peut exister que mentalement, dans l’intériorité de la mémoire et de l’attente, ce qui par conséquent ne peut exister comme réalité.extérieure.La perspective, héritée de la Renaissance, est le modèle même de la représentation, en tant qu’un tableau construit selon ses règles peut passer pour un miroir de la réalité à partir d’un point de vue immobile. Modèle de la représentation puisque le spectateur du tableau est supposé situé à la place même d’où le peintre a regardé la scène. C’est pourquoi la vision de celui qui est en mouvement par rapport à un lieu est rigoureusement irreprésentable; la restitution d’une telle vision est impossible dans le cadre de la représentation héritée de la Renaissance 

Cela ne veut nullement dire que la peinture doive renoncer à rendre visible l’ impossible, voire à le représenter. C’est ainsi qu’à la Renaissance, dans le .Jugement dernier de Michel -Ange, la fresque de la Chapelle Sixtine, les figures du Christ et de ceux qui l’entourent se tiennent en suspension dans la voûte céleste tandis qu’au – dessous les corps des damnés tombent en enfer à travers un espace indéterminé où ne s’impose aucune considération d’échelle. A la suite de Michel -Ange, dans la seconde moitié de la Renaissance, les maniéristes ont multiplié les corps en lévitation, pratiqué parfois la torsion de l’espace, entrelacé les panneaux peints avec sur leurs bordures des motifs de « grotesques ». L’opération de rendre visible un impossible, ou de le suggérer, dépend donc de la « structure » picturale dans laquelle il peut ou non trouver place. Mais c’est peut-être bien cet impossible, à chaque fois différent, qui anime toute la peinture, qui lui inspire toutes les ruses pour se jouer des limites qu’ impose le « vraisemblable ».

Or, ce qui ne peut être représenté peut être figuré. Car figuration n’est pas représentation. La peinture chinoise est figurative, elle n’est pas représentative car elle ne s’appuie pas sur l’unicité du point de vue, ce qui lui permet de rendre visible un parcours  Selon moi, lorsqu’il s’agit d’un parcours, le peintre n’a pas pour vocation de représenter plus qu’on ne peut représenter – mission impossible – mais de créer des raccourcis, des abréviations. En figurant, il a le droit de multiplier les points de vue, mais il doit se tenir dans l’unité de l’acte créateur.  Si l’on veut donc figurer picturalement une action qui dure, par exemple un paysage qui se déroule sous les pieds et sous les yeux du promeneur, il faut retrouver l’éclair sur un autre plan que celui de l’instant. Cela exige une autre forme d’illumination, et par exemple de trouver une couleur – lumière qui ne soit pas liée à un angle précis de vision, mais qui soit une tonalité émotionnelle propre à tel ciel, à tel lieu, à telle promenade, à telle séquence temporelle.

On peut  réfléchir sur les réussites de la tradition picturale chinoise dans la figuration des séquences temporelles. La question est trop vaste pour qu’on puisse vraiment la traiter ici. Redisons d’abord que figuration n’est pas représentation, et mentionnons le fait que cette figuration  leur a été facilitée par l’usage du support matériel utilisé, le rouleau. Mais le facteur essentiel réside en ceci que la tradition chinoise esr étrangère à l’héritage que nous avons reçu de la Renaissance. Celle-ci nous a légué une tradition  très contraignante, qui donne à l’observateur immobile un privilège absolu, grâce à quoi  les jeux de perspective; linéaire, aérienne, les variations d’éclairage selon l’angle d’incidence de la lumière, atteignent une très grande richesse. La richesse même de ce legs, qui, quoi qu’on en pense, va jusqu’au fauvisme – puisque ce dernier n’est en un sens qu’une exaltation; une exagération simplifiante des impressions de l’oeil, selon l’angle d’incidence de la lumière – nous rend très malaisée la figuration  de la durée.  L’influence de ce legs va même plus loin, puisque abstraction et cubisme sont des reactions contre les normes de la Renaissance. La tradition chinoise n’a pas ce handicap, elle est autre, asymétriquement. On observe d’ailleurs que les artistes chinois qui sous l’influence des jésuites, se sont mis à l’école de la peinture occidentale, avec ses règles de perspective, ont produit des oeuvres raides et compassées, voire « bouchées »( pour utiliser notre argot de peintres). C’est que cela leur était étranger. L’espace-temps de la peinture chinoise est un continuum qui ignore le point de fuite du à l’observateur immobile. La complexité de certaines oeuvres chinoises n’est pas de la complication : mentalement, le peintre et son public peuvent s’y rejoindre dans un seul et même regard.

« De manière délibérée, le peintre utilise le paysage pour rehausser le contenu narratif. Les voyageurs forment un cours sinueux qui se déploie à travers une  série d’espaces reliés et définis par les montagnes et les ravins. Toutefois, les montagnes ponctuent le mouvement et créent une forte sensation de rythme. Les voyageurs émergent de derrière les falaises de droite et reposent sur un terrain à découvert au pied des crètes centrales, puis continuent leur voyage, disparaissant derrière les montagnes de gauche. » (3000 ans de peinture chinoise- éditions Philippe Picquier)

Ce tableau est moins descriptif et moins narratif que la peinture chinoise montrée plus haut. Cette dernière introduit le parcours des personnages à travers les accidents du paysage. Ce tableau -ci en revanche cherche à restituer les impressions du couple découvrant au fil du parcours le site dans sa globalité : synthèse du transitoire et du durable; les montagnes lointaines sont perçues dans l’imaginaire comme presque immobiles malgré les tours et les détours de la randonnée. 

Voir plus d'oeuvres

Musique et paysage dans la peinture

Musique et paysage dans la peinture

Le Regard

Le Regard

Sommets et abîmes  

Sommets et abîmes  

L’éclair et la durée

Reprenant  l’emploi  du mot français  regard  dans le sens de petite ouverture dans une construction,  nous avons défini le regard comme un écart  entre la vision normée, physique – optique, et une vision plus énigmatique plus cachée. Le regard c’est l’entr’aperçu. Dans le regard il y a l’éclair qui traverse la vision normée et la porte ailleurs.

On aurait tort de croire que cette notion de regard est destinée à justifier des déformations gratuites de la « réalité », une sorte d’alibi pour l’ignorance, l’incapacité, la négligence, voire l’outrecuidance d’un « moi » hypertrophié. Certains en sont encore à déclarer que le caractère, selon eux grotesque et indécent, des oeuvres de Picasso s’explique par le fait qu’il « ne savait pas peindre »! Voilà qui est absurde. Parmi les peintres de la Renaissance, en apparence si soucieux d’obéir aux lois de l’optique, nombreux furent ceux qui se servirent de la perspective pour y introduire de subtiles contradictions, des paradoxes à peine perceptibles, afin de laisser entrevoir une intention cachée.

Le regard porte en lui l’éclair. Or pour celui qui commence avec sérieux et ferveur l’exercice de la peinture, l’expérience de l’éclair se fait d’abord devant le motif. Nommons  cette expérience  fulgurance de l’instant. L’instant n’est justement pas l’instantané. Rappelons le dire de Léonard de Vinci : »Regarde la lumière : ce que tu as vu d’abord n’est plus, ce que tu verras ensuite n’est pas encore ».Nous retrouvons ici  notre thème  » voir, c’est avoir vu « , mais dans une sorte de réaction circulaire: l’éclair du présent-à-venir porte la foudre au présent-passé. Pour se tenir dans l’ouverture de l’instant, il faut, semble-t-il, un temps d’arrêt. C’est pourquoi l’immobilité du regardant face aux choses paraît une nécessité ; nécessité d’autant plus contraignante que s’il veut transmettre cet éclair au spectateur de l’oeuvre, il ne doit pas bouleverser son cadre de représentation, fondé sur la perspective, qui exige un observateur immobile. Ajoutons que l’mmobilité de l’observateur, qui de ce fait ne saisit qu’un aspect des choses, rend aisée la simplicité de la représentation, autre facteur favorable à la transmission.

On m’a qualifié autrefois de peintre de l’éclair – c’était sans doute immérité – mais c’était l’époque où je travaillais le plus souvent devant le motif, qui éclatait sous mon regard.. Je travaille maintenant sur le souvenir du motif, c’est à dire que je réactive la déflagration initiale. Mais à côté de cette voie, j’en explore depuis longtemps une autre : restituer une durée dans une simultanéité, celle de la toile. Et la question se pose de savoir comment l’exigence de l’éclair peut s’accomoder d’une telle ambition. Restituer: le terme est périlleux, car il ne s’agit pas de multiplier les aspects successifs, les profils, au point de « brouiller les apparences », selon les mots d’Albert Gleizes, critiquant le peintre figuratif qui prétend introduire le temps dans son tableau. En réalité, une telle surcharge de lignes qui s’entrecroisent, de détails qui s’annulent, signe l’échec d’une obsession insidieuse et inconsciente, d’une volonté de montrer ce qu’on ne peut pas voir. Il s’agit toujours, dans la peinture, de laisser deviner ce que l’on ne peut qu’entrevoir, l’espace d’un éclair, et par conséquent; que l’on ne peut représenter. Pourtant les peintres ont toujours montré, mais montré de manière subreptice. Pour nous les modernes – je ne veux pas dire : les contemporains – cette montre fugitive ne pourra surgir que lorsque  la toile sera picturalement consistante dans le sens où le veut l’abstraction , c’est à dire losque la toile, grâce à un jeu de contrastes et d’équilibres (couleurs et formes), émettra sa propre lumière

On ne doit jamais renoncer en art à l’exigence d’efficacité. Une bonne toile abstraite est efficace, dans la mesure où elle comporte force, harmonie, clarté de la forme. Une bonne toile figurative est efficace dans la mesure où elle allie les qualités de la forme à la clarté figurative. Restituer – ou créer –  picturalement une durée, par exemple la durée d’une promenade, c’est une ambition légitime, car la promenade est une joie aussi bien spirituelle et intellectuelle que sensori-motrice. Mais il ne faut pas tomber dans le piège de l’exactitude – si le mot a encore ici un sens – il ne faut pas essayer de montrer comme une « réalité »extérieure ce qui ne peut exister que mentalement, dans l’intériorité de la mémoire et de l’attente, ce qui par conséquent ne peut exister comme réalité.extérieure.La perspective, héritée de la Renaissance, est le modèle même de la représentation, en tant qu’un tableau construit selon ses règles peut passer pour un miroir de la réalité à partir d’un point de vue immobile. Modèle de la représentation puisque le spectateur du tableau est supposé situé à la place même d’où le peintre a regardé la scène. C’est pourquoi la vision de celui qui est en mouvement par rapport à un lieu est rigoureusement irreprésentable; la restitution d’une telle vision est impossible dans le cadre de la représentation héritée de la Renaissance 

Cela ne veut nullement dire que la peinture doive renoncer à rendre visible l’ impossible, voire à le représenter. C’est ainsi qu’à la Renaissance, dans le .Jugement dernier de Michel -Ange, la fresque de la Chapelle Sixtine, les figures du Christ et de ceux qui l’entourent se tiennent en suspension dans la voûte céleste tandis qu’au – dessous les corps des damnés tombent en enfer à travers un espace indéterminé où ne s’impose aucune considération d’échelle. A la suite de Michel -Ange, dans la seconde moitié de la Renaissance, les maniéristes ont multiplié les corps en lévitation, pratiqué parfois la torsion de l’espace, entrelacé les panneaux peints avec sur leurs bordures des motifs de « grotesques ». L’opération de rendre visible un impossible, ou de le suggérer, dépend donc de la « structure » picturale dans laquelle il peut ou non trouver place. Mais c’est peut-être bien cet impossible, à chaque fois différent, qui anime toute la peinture, qui lui inspire toutes les ruses pour se jouer des limites qu’ impose le « vraisemblable ».

Or, ce qui ne peut être représenté peut être figuré. Car figuration n’est pas représentation. La peinture chinoise est figurative, elle n’est pas représentative car elle ne s’appuie pas sur l’unicité du point de vue, ce qui lui permet de rendre visible un parcours  Selon moi, lorsqu’il s’agit d’un parcours, le peintre n’a pas pour vocation de représenter plus qu’on ne peut représenter – mission impossible – mais de créer des raccourcis, des abréviations. En figurant, il a le droit de multiplier les points de vue, mais il doit se tenir dans l’unité de l’acte créateur.  Si l’on veut donc figurer picturalement une action qui dure, par exemple un paysage qui se déroule sous les pieds et sous les yeux du promeneur, il faut retrouver l’éclair sur un autre plan que celui de l’instant. Cela exige une autre forme d’illumination, et par exemple de trouver une couleur – lumière qui ne soit pas liée à un angle précis de vision, mais qui soit une tonalité émotionnelle propre à tel ciel, à tel lieu, à telle promenade, à telle séquence temporelle.

On peut  réfléchir sur les réussites de la tradition picturale chinoise dans la figuration des séquences temporelles. La question est trop vaste pour qu’on puisse vraiment la traiter ici. Redisons d’abord que figuration n’est pas représentation, et mentionnons le fait que cette figuration  leur a été facilitée par l’usage du support matériel utilisé, le rouleau. Mais le facteur essentiel réside en ceci que la tradition chinoise esr étrangère à l’héritage que nous avons reçu de la Renaissance. Celle-ci nous a légué une tradition  très contraignante, qui donne à l’observateur immobile un privilège absolu, grâce à quoi  les jeux de perspective; linéaire, aérienne, les variations d’éclairage selon l’angle d’incidence de la lumière, atteignent une très grande richesse. La richesse même de ce legs, qui, quoi qu’on en pense, va jusqu’au fauvisme – puisque ce dernier n’est en un sens qu’une exaltation; une exagération simplifiante des impressions de l’oeil, selon l’angle d’incidence de la lumière – nous rend très malaisée la figuration  de la durée.  L’influence de ce legs va même plus loin, puisque abstraction et cubisme sont des reactions contre les normes de la Renaissance. La tradition chinoise n’a pas ce handicap, elle est autre, asymétriquement. On observe d’ailleurs que les artistes chinois qui sous l’influence des jésuites, se sont mis à l’école de la peinture occidentale, avec ses règles de perspective, ont produit des oeuvres raides et compassées, voire « bouchées »( pour utiliser notre argot de peintres). C’est que cela leur était étranger. L’espace-temps de la peinture chinoise est un continuum qui ignore le point de fuite du à l’observateur immobile. La complexité de certaines oeuvres chinoises n’est pas de la complication : mentalement, le peintre et son public peuvent s’y rejoindre dans un seul et même regard.

« De manière délibérée, le peintre utilise le paysage pour rehausser le contenu narratif. Les voyageurs forment un cours sinueux qui se déploie à travers une  série d’espaces reliés et définis par les montagnes et les ravins. Toutefois, les montagnes ponctuent le mouvement et créent une forte sensation de rythme. Les voyageurs émergent de derrière les falaises de droite et reposent sur un terrain à découvert au pied des crètes centrales, puis continuent leur voyage, disparaissant derrière les montagnes de gauche. » (3000 ans de peinture chinoise- éditions Philippe Picquier)

Attribué à Lizao Zhaodao - Le voyage de l'empereur Ming huang vers Shu.- rouleau tiré d'une oeuvre originale réalisée vers 800

Ce tableau est moins descriptif et moins narratif que la peinture chinoise montrée plus haut. Cette dernière introduit le parcours des personnages à travers les accidents du paysage. Ce tableau -ci en revanche cherche à restituer les impressions du couple découvrant au fil du parcours le site dans sa globalité : synthèse du transitoire et du durable; les montagnes lointaines sont perçues dans l’imaginaire comme presque immobiles malgré les tours et les détours de la randonnée. 

Albert Lichten - randonnée dans les monts du Péloponnèse.- huile sur toile - 1998 - 110 x 87 cm

Reprenant  l’emploi  du mot français  regard  dans le sens de petite ouverture dans une construction,  nous avons défini le regard comme un écart  entre la vision normée, physique – optique, et une vision plus énigmatique plus cachée. Le regard c’est l’entr’aperçu. Dans le regard il y a l’éclair qui traverse la vision normée et la porte ailleurs.

On aurait tort de croire que cette notion de regard est destinée à justifier des déformations gratuites de la « réalité », une sorte d’alibi pour l’ignorance, l’incapacité, la négligence, voire l’outrecuidance d’un « moi » hypertrophié. Certains en sont encore à déclarer que le caractère, selon eux grotesque et indécent, des oeuvres de Picasso s’explique par le fait qu’il « ne savait pas peindre »! Voilà qui est absurde. Parmi les peintres de la Renaissance, en apparence si soucieux d’obéir aux lois de l’optique, nombreux furent ceux qui se servirent de la perspective pour y introduire de subtiles contradictions, des paradoxes à peine perceptibles, afin de laisser entrevoir une intention cachée.

Le regard porte en lui l’éclair. Or pour celui qui commence avec sérieux et ferveur l’exercice de la peinture, l’expérience de l’éclair se fait d’abord devant le motif. Nommons  cette expérience  fulgurance de l’instant. L’instant n’est justement pas l’instantané. Rappelons le dire de Léonard de Vinci : »Regarde la lumière : ce que tu as vu d’abord n’est plus, ce que tu verras ensuite n’est pas encore ».Nous retrouvons ici  notre thème  » voir, c’est avoir vu « , mais dans une sorte de réaction circulaire: l’éclair du présent-à-venir porte la foudre au présent-passé. Pour se tenir dans l’ouverture de l’instant, il faut, semble-t-il, un temps d’arrêt. C’est pourquoi l’immobilité du regardant face aux choses paraît une nécessité ; nécessité d’autant plus contraignante que s’il veut transmettre cet éclair au spectateur de l’oeuvre, il ne doit pas bouleverser son cadre de représentation, fondé sur la perspective, qui exige un observateur immobile. Ajoutons que l’mmobilité de l’observateur, qui de ce fait ne saisit qu’un aspect des choses, rend aisée la simplicité de la représentation, autre facteur favorable à la transmission.

On m’a qualifié autrefois de peintre de l’éclair – c’était sans doute immérité – mais c’était l’époque où je travaillais le plus souvent devant le motif, qui éclatait sous mon regard.. Je travaille maintenant sur le souvenir du motif, c’est à dire que je réactive la déflagration initiale. Mais à côté de cette voie, j’en explore depuis longtemps une autre : restituer une durée dans une simultanéité, celle de la toile. Et la question se pose de savoir comment l’exigence de l’éclair peut s’accomoder d’une telle ambition. Restituer: le terme est périlleux, car il ne s’agit pas de multiplier les aspects successifs, les profils, au point de « brouiller les apparences », selon les mots d’Albert Gleizes, critiquant le peintre figuratif qui prétend introduire le temps dans son tableau. En réalité, une telle surcharge de lignes qui s’entrecroisent, de détails qui s’annulent, signe l’échec d’une obsession insidieuse et inconsciente, d’une volonté de montrer ce qu’on ne peut pas voir. Il s’agit toujours, dans la peinture, de laisser deviner ce que l’on ne peut qu’entrevoir, l’espace d’un éclair, et par conséquent; que l’on ne peut représenter. Pourtant les peintres ont toujours montré, mais montré de manière subreptice. Pour nous les modernes – je ne veux pas dire : les contemporains – cette montre fugitive ne pourra surgir que lorsque  la toile sera picturalement consistante dans le sens où le veut l’abstraction , c’est à dire losque la toile, grâce à un jeu de contrastes et d’équilibres (couleurs et formes), émettra sa propre lumière

On ne doit jamais renoncer en art à l’exigence d’efficacité. Une bonne toile abstraite est efficace, dans la mesure où elle comporte force, harmonie, clarté de la forme. Une bonne toile figurative est efficace dans la mesure où elle allie les qualités de la forme à la clarté figurative. Restituer – ou créer –  picturalement une durée, par exemple la durée d’une promenade, c’est une ambition légitime, car la promenade est une joie aussi bien spirituelle et intellectuelle que sensori-motrice. Mais il ne faut pas tomber dans le piège de l’exactitude – si le mot a encore ici un sens – il ne faut pas essayer de montrer comme une « réalité »extérieure ce qui ne peut exister que mentalement, dans l’intériorité de la mémoire et de l’attente, ce qui par conséquent ne peut exister comme réalité.extérieure.La perspective, héritée de la Renaissance, est le modèle même de la représentation, en tant qu’un tableau construit selon ses règles peut passer pour un miroir de la réalité à partir d’un point de vue immobile. Modèle de la représentation puisque le spectateur du tableau est supposé situé à la place même d’où le peintre a regardé la scène. C’est pourquoi la vision de celui qui est en mouvement par rapport à un lieu est rigoureusement irreprésentable; la restitution d’une telle vision est impossible dans le cadre de la représentation héritée de la Renaissance 

Cela ne veut nullement dire que la peinture doive renoncer à rendre visible l’ impossible, voire à le représenter. C’est ainsi qu’à la Renaissance, dans le .Jugement dernier de Michel -Ange, la fresque de la Chapelle Sixtine, les figures du Christ et de ceux qui l’entourent se tiennent en suspension dans la voûte céleste tandis qu’au – dessous les corps des damnés tombent en enfer à travers un espace indéterminé où ne s’impose aucune considération d’échelle. A la suite de Michel -Ange, dans la seconde moitié de la Renaissance, les maniéristes ont multiplié les corps en lévitation, pratiqué parfois la torsion de l’espace, entrelacé les panneaux peints avec sur leurs bordures des motifs de « grotesques ». L’opération de rendre visible un impossible, ou de le suggérer, dépend donc de la « structure » picturale dans laquelle il peut ou non trouver place. Mais c’est peut-être bien cet impossible, à chaque fois différent, qui anime toute la peinture, qui lui inspire toutes les ruses pour se jouer des limites qu’ impose le « vraisemblable ».

Or, ce qui ne peut être représenté peut être figuré. Car figuration n’est pas représentation. La peinture chinoise est figurative, elle n’est pas représentative car elle ne s’appuie pas sur l’unicité du point de vue, ce qui lui permet de rendre visible un parcours  Selon moi, lorsqu’il s’agit d’un parcours, le peintre n’a pas pour vocation de représenter plus qu’on ne peut représenter – mission impossible – mais de créer des raccourcis, des abréviations. En figurant, il a le droit de multiplier les points de vue, mais il doit se tenir dans l’unité de l’acte créateur.  Si l’on veut donc figurer picturalement une action qui dure, par exemple un paysage qui se déroule sous les pieds et sous les yeux du promeneur, il faut retrouver l’éclair sur un autre plan que celui de l’instant. Cela exige une autre forme d’illumination, et par exemple de trouver une couleur – lumière qui ne soit pas liée à un angle précis de vision, mais qui soit une tonalité émotionnelle propre à tel ciel, à tel lieu, à telle promenade, à telle séquence temporelle.

On peut  réfléchir sur les réussites de la tradition picturale chinoise dans la figuration des séquences temporelles. La question est trop vaste pour qu’on puisse vraiment la traiter ici. Redisons d’abord que figuration n’est pas représentation, et mentionnons le fait que cette figuration  leur a été facilitée par l’usage du support matériel utilisé, le rouleau. Mais le facteur essentiel réside en ceci que la tradition chinoise esr étrangère à l’héritage que nous avons reçu de la Renaissance. Celle-ci nous a légué une tradition  très contraignante, qui donne à l’observateur immobile un privilège absolu, grâce à quoi  les jeux de perspective; linéaire, aérienne, les variations d’éclairage selon l’angle d’incidence de la lumière, atteignent une très grande richesse. La richesse même de ce legs, qui, quoi qu’on en pense, va jusqu’au fauvisme – puisque ce dernier n’est en un sens qu’une exaltation; une exagération simplifiante des impressions de l’oeil, selon l’angle d’incidence de la lumière – nous rend très malaisée la figuration  de la durée.  L’influence de ce legs va même plus loin, puisque abstraction et cubisme sont des reactions contre les normes de la Renaissance. La tradition chinoise n’a pas ce handicap, elle est autre, asymétriquement. On observe d’ailleurs que les artistes chinois qui sous l’influence des jésuites, se sont mis à l’école de la peinture occidentale, avec ses règles de perspective, ont produit des oeuvres raides et compassées, voire « bouchées »( pour utiliser notre argot de peintres). C’est que cela leur était étranger. L’espace-temps de la peinture chinoise est un continuum qui ignore le point de fuite du à l’observateur immobile. La complexité de certaines oeuvres chinoises n’est pas de la complication : mentalement, le peintre et son public peuvent s’y rejoindre dans un seul et même regard.

« De manière délibérée, le peintre utilise le paysage pour rehausser le contenu narratif. Les voyageurs forment un cours sinueux qui se déploie à travers une  série d’espaces reliés et définis par les montagnes et les ravins. Toutefois, les montagnes ponctuent le mouvement et créent une forte sensation de rythme. Les voyageurs émergent de derrière les falaises de droite et reposent sur un terrain à découvert au pied des crètes centrales, puis continuent leur voyage, disparaissant derrière les montagnes de gauche. » (3000 ans de peinture chinoise- éditions Philippe Picquier)

Ce tableau est moins descriptif et moins narratif que la peinture chinoise montrée plus haut. Cette dernière introduit le parcours des personnages à travers les accidents du paysage. Ce tableau -ci en revanche cherche à restituer les impressions du couple découvrant au fil du parcours le site dans sa globalité : synthèse du transitoire et du durable; les montagnes lointaines sont perçues dans l’imaginaire comme presque immobiles malgré les tours et les détours de la randonnée. 

share the adventure:

FB
PI
LI
TW

Explore some more: