Ceci n’est qu’une petite province dans l’immense domaine de la figuration de la femme – et en particulier du corps féminin – dans la peinture occidentale. Pour ne prendre que la Renaissance, elle est marquée par l’éclat, la splendeur de ce corps comme objet de désir. J’ai parlé à ce propos d’image narcissique – qu’il s’agisse du Titien, de Véronèse, du Tintoret, mais aussi bien de la peinture flamande et germanique – image narcissique à laquelle j’ai opposé le réalisme de Picasso. Vu l’immensité de ce champ, sa mise en regard des quelques toiles de moi présentées ici ne peut être que très partielle Pour ma part je me suis attaché à montrer le rapport du corps féminin à des moments et à des lieux réels ou mythiques.
Je me contenterai donc d’un seul exemple comparatif : la Suzanne et les vieillards du Tintoret (1565), que je mettrai en regard de ma toile Suzanne et les deux vieillards.
Tintoret a choisi, dans cette histoire biblique, le moment où les deux vieillards ne se sont pas encore rencontrés et donc ne se sont pas encore avoués l’un à l’autre leur appétence pour le même objet ; ici chacun se livre de son côté à sa pulsion voyeuriste. D’où la scénographie du tableau, occasion pour le peintre de déployer toute sa virtuosité dans la constitution d’une dramaturgie jouant sur les effets de la perspective. La scène s’étage sur un grand nombre de plans, avec lignes de fuites vers les lointains, et Suzanne occupe un plan intermédiaire entre ceux qu’occupent respectivement chacun des vieillards. Elle est ainsi la cible des feux croisés de leurs regards. Bien que grand coloriste, Tintoret tire parti du clair-obscur, qui lui permet de mettre l’accent sur le caractère érotique de la scène, en concentrant la lumière sur le corps splendide de Suzanne, dont les demi-teintes blondes assurent le modelé; elle est inconsciente de la menace, épanouie dans sa présence charnelle. Au-delà de l’écran sombre de feuillage, on aperçoit une enfilade de jardins.
Pour ma part, j’ai choisi d’illustrer un autre moment de cette histoire biblique. Sur le chemin du retour à leurs maisons respectives, les vieillards se sont rencontrés inopinément, et ils ont du s’avouer l’un à l’autre leur convoitise ; ils sont donc convenus de retourner au lieu où Suzanne se baigne, de la surprendre seule, et de la soumettre à leurs désirs. Le texte décrit le moment que j’ai choisi : « Il n’y avait là personne, hormis les deux anciens cachés qui la contemplaient » En conséquence la scénographie de ma toile diffère de celle du tableau du Tintoret. Les deux vieillards sont maintenant complices, ils sont donc côte à côte. D’autre part mon approche picturale du corps féminin diffère de celle de la Renaissance : Suzanne n’est pas présentée ici dans l’éclat triomphant de la chair, mais dans l’intimité, le retrait ; son corps rayonne doucement dans la pénombre.
L’organisation spatiale de mon tableau est moins optique que mentale ; elle ne repose pas sur la perspective, mais sur la juxtaposition de deux lieux différents : celui de l’intimité, celui des regards concupiscents. Enfin ma toile n’est pas construite sur des contrastes de valeurs (clair, sombre), mais sur des contrastes colorés, ce qui est généralement le cas dans ma peinture.
Elle est sertie dans un pli de la forêt. Pour aller vers elle il faut contourner un étang. Toujours promise, jamais acquise.
Ce tableau; je l’avoue, est une sorte d’allégorie. Logée dans le feuillage, cette femme est bien une épouse, assise au bord d’un lit recouvert d’un drap blanc. Le traitement de mon sujet se réclame d’une affinité certaine avec les toiles de Patinir (1480-1524), qui montre, dans des scènes religieuses ou mythologiques, des personnages tout petits au milieu d’un paysage immense. Mais à l’inverse des vues panoramiques caractéristiques de ce peintre, j’ai fait pénétrer le regard dans les touffeurs de la forêt ; celles-ci ne s’ouvrent pas sur un vaste horizon, mais se distribuent en plans successifs. Le ciel, caché, y jette un reflet dans la flaque d’un étang. La toile est construite sur un jeu rythmique de ces plans qui s’interpénêtrent.
La plus proche est aussi la plus lointaine. Ainsi de la femme aimée.
Je joue, ici encore, sur le contraste d’échelle entre le personnage et le décor environnant. Par ailleurs le vert soutenu de la prairie en pente témoigne des libertés prises avec les lois de la lumière naturelle. Mais ces libertés n’impliquent pas uine méconnaissance.
C’est le thème du contraste entre les textures: la maigre végétation, la mer étale, le frémissement de la chair et la dureté du roc.
Au milieu de ce petit monde qui lui parle, elle chemine et s’arrête. La toile est construite sur un jeu de zigzags qui maintiennent une trajectoire horizontale, avec les verticales des arbres, qui assurent la fonction de jalons : elle est spatio-temporelle. C’est en quoi elle se distingue d’un tableau impressionniste, qui se réduit à la saisie de l’instant et dans lequel la lumière tend à dissoudre les formes On notera l’importance ici du contrepoint rythmique entre les formes colorées. Le sujet principal est la femme, qui est dans la pénombre, et son reflet.
Ce tableau est une variation sur le thème du cheval cabré, symbole notoire de la puissance dionysiaque du sexe. La construction de la toile repose sur un jeu de contrastes de rythmes et de couleurs, mais aussi de contrastes au niveau de la matière, très épaisse pour l’avant du corps du cheval. On notera la paleur énigmatique du corps de la femme, par opposition à la couleur rutilante de l’animal. « Que veut une femme? » s’interrogeait Freud.
Un thème qui m’est cher : l’entrelacs du corps féminin et du végétal, dans une ambiance aquatique.
Ceci n’est qu’une petite province dans l’immense domaine de la figuration de la femme – et en particulier du corps féminin – dans la peinture occidentale. Pour ne prendre que la Renaissance, elle est marquée par l’éclat, la splendeur de ce corps comme objet de désir. J’ai parlé à ce propos d’image narcissique – qu’il s’agisse du Titien, de Véronèse, du Tintoret, mais aussi bien de la peinture flamande et germanique – image narcissique à laquelle j’ai opposé le réalisme de Picasso. Vu l’immensité de ce champ, sa mise en regard des quelques toiles de moi présentées ici ne peut être que très partielle Pour ma part je me suis attaché à montrer le rapport du corps féminin à des moments et à des lieux réels ou mythiques.
Je me contenterai donc d’un seul exemple comparatif : la Suzanne et les vieillards du Tintoret (1565), que je mettrai en regard de ma toile Suzanne et les deux vieillards.
Tintoret a choisi, dans cette histoire biblique, le moment où les deux vieillards ne se sont pas encore rencontrés et donc ne se sont pas encore avoués l’un à l’autre leur appétence pour le même objet ; ici chacun se livre de son côté à sa pulsion voyeuriste. D’où la scénographie du tableau, occasion pour le peintre de déployer toute sa virtuosité dans la constitution d’une dramaturgie jouant sur les effets de la perspective. La scène s’étage sur un grand nombre de plans, avec lignes de fuites vers les lointains, et Suzanne occupe un plan intermédiaire entre ceux qu’occupent respectivement chacun des vieillards. Elle est ainsi la cible des feux croisés de leurs regards. Bien que grand coloriste, Tintoret tire parti du clair-obscur, qui lui permet de mettre l’accent sur le caractère érotique de la scène, en concentrant la lumière sur le corps splendide de Suzanne, dont les demi-teintes blondes assurent le modelé; elle est inconsciente de la menace, épanouie dans sa présence charnelle. Au-delà de l’écran sombre de feuillage, on aperçoit une enfilade de jardins.
Pour ma part, j’ai choisi d’illustrer un autre moment de cette histoire biblique. Sur le chemin du retour à leurs maisons respectives, les vieillards se sont rencontrés inopinément, et ils ont du s’avouer l’un à l’autre leur convoitise ; ils sont donc convenus de retourner au lieu où Suzanne se baigne, de la surprendre seule, et de la soumettre à leurs désirs. Le texte décrit le moment que j’ai choisi : « Il n’y avait là personne, hormis les deux anciens cachés qui la contemplaient » En conséquence la scénographie de ma toile diffère de celle du tableau du Tintoret. Les deux vieillards sont maintenant complices, ils sont donc côte à côte. D’autre part mon approche picturale du corps féminin diffère de celle de la Renaissance : Suzanne n’est pas présentée ici dans l’éclat triomphant de la chair, mais dans l’intimité, le retrait ; son corps rayonne doucement dans la pénombre.
L’organisation spatiale de mon tableau est moins optique que mentale ; elle ne repose pas sur la perspective, mais sur la juxtaposition de deux lieux différents : celui de l’intimité, celui des regards concupiscents. Enfin ma toile n’est pas construite sur des contrastes de valeurs (clair, sombre), mais sur des contrastes colorés, ce qui est généralement le cas dans ma peinture.
Elle est sertie dans un pli de la forêt. Pour aller vers elle il faut contourner un étang. Toujours promise, jamais acquise.
Ce tableau; je l’avoue, est une sorte d’allégorie. Logée dans le feuillage, cette femme est bien une épouse, assise au bord d’un lit recouvert d’un drap blanc. Le traitement de mon sujet se réclame d’une affinité certaine avec les toiles de Patinir (1480-1524), qui montre, dans des scènes religieuses ou mythologiques, des personnages tout petits au milieu d’un paysage immense. Mais à l’inverse des vues panoramiques caractéristiques de ce peintre, j’ai fait pénétrer le regard dans les touffeurs de la forêt ; celles-ci ne s’ouvrent pas sur un vaste horizon, mais se distribuent en plans successifs. Le ciel, caché, y jette un reflet dans la flaque d’un étang. La toile est construite sur un jeu rythmique de ces plans qui s’interpénêtrent.
La plus proche est aussi la plus lointaine. Ainsi de la femme aimée.
Je joue, ici encore, sur le contraste d’échelle entre le personnage et le décor environnant. Par ailleurs le vert soutenu de la prairie en pente témoigne des libertés prises avec les lois de la lumière naturelle. Mais ces libertés n’impliquent pas uine méconnaissance.
C’est le thème du contraste entre les textures: la maigre végétation, la mer étale, le frémissement de la chair et la dureté du roc.
Au milieu de ce petit monde qui lui parle, elle chemine et s’arrête. La toile est construite sur un jeu de zigzags qui maintiennent une trajectoire horizontale, avec les verticales des arbres, qui assurent la fonction de jalons : elle est spatio-temporelle. C’est en quoi elle se distingue d’un tableau impressionniste, qui se réduit à la saisie de l’instant et dans lequel la lumière tend à dissoudre les formes On notera l’importance ici du contrepoint rythmique entre les formes colorées. Le sujet principal est la femme, qui est dans la pénombre, et son reflet.
Ce tableau est une variation sur le thème du cheval cabré, symbole notoire de la puissance dionysiaque du sexe. La construction de la toile repose sur un jeu de contrastes de rythmes et de couleurs, mais aussi de contrastes au niveau de la matière, très épaisse pour l’avant du corps du cheval. On notera la paleur énigmatique du corps de la femme, par opposition à la couleur rutilante de l’animal. « Que veut une femme? » s’interrogeait Freud.
Un thème qui m’est cher : l’entrelacs du corps féminin et du végétal, dans une ambiance aquatique.